Pourquoi consulter un logopédiste pour des problèmes en maths ?

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Nous avons l’habitude de consulter un logopédiste pour des troubles de l’articulation, du langage, de la communication, de la lecture, de l’orthographe mais les maths ?…

Et bien les mathématiques sont un langage comprenant symboles, lexique, syntaxe et règles spécifiques. Langue écrite, vivante et universelle, qui se développe, se transmet depuis l’époque des hommes des cavernes, lorsque compter est devenu un besoin et que les 10 doigts ne suffisaient pas…

Cet article vous propose une présentation des liens et points communs qui existent entre l’apprentissage du code écrit de la parole et celui des mathématiques, afin de vous permettre de comprendre notre intervention dans ce dernier domaine, quand on évoque des troubles « dys–».

En effet, ces apprentissages nécessitent la mobilisation de capacités cérébrales communes que l’on nomme: « les fonctions cognitives ». Localisées à différents endroits du cerveau, en surface ou en profondeur, elles s’activent souvent simultanément, se connectent, se complètent, se confondent, s’harmonisent comme les instruments d’un orchestre. En voici une énumération, sans doute imparfaite, car notre propre fonctionnement cérébral reste encore un mystère dont on tente de percevoir les secrets, avec les limites qu’il nous impose et en l’occurrence les miennes…

Les fonctions cognitives

L’accès à la symbolisation/l’abstraction

Ce sont nos capacités de représentations mentales visuelles, verbales, kinesthésiques issues de nos perceptions, nos expériences sensorielles et relationnelles dont il est intéressant de prendre conscience car elles sont le support des apprentissages* . On distingue 3 niveaux :

Les évocations mentales concrètes :
Je peux réentendre dans ma tête des bruits, des voix, des mots, des paroles  //  Je peux revoir un objet, ses couleurs, une personne, une situation statique ou en mouvement … voir une quantité d’objets // je peux « re-sentir » des sensations corporelles, des émotions, des mouvements, percevoir mon corps et me le représenter mentalement.

Les évocations mentales symboliques :
– Un objet, une émotion aura un code oral « stylo », « joie » // Une quantité d’objets identiques sera codée oralement « quatre ».
J’accède au langage oral, je peux me parler intérieurement.
– Ce code oral « stylo » est transcrit au moyen de symboles-lettres s.t.y.l.o  // la quantité « quatre » correspond au symbole-chiffre 4…. ou q.u.a.t.r.e.
J’accède au langage écrit, je peux voir dans ma tête ces codes écrits (mots, nombres), des formes géométriques, des schémas…
– Je peux manipuler mentalement toutes ces représentations, intégrer des concepts, raisonner (comparer, déduire, induire).

Les évocations mentales créatives :
À partir des évocations mentales précédentes, je peux créer mentalement des images, des films pour comprendre des récits, des énoncés de problèmes.
Je peux faire des découvertes, écouter mes intuitions, développer ma créativité dans différents domaines : littérature, sciences, technologies, arts…

*Travaux sur la Gestion Mentale. Antoine de la Garanderie, pédagogue atteint de surdité, 1920.2010. // Les Stratégies d’apprentissage. PNL. La programmation neurolinguistique a été élaborée dans les années 70 par John Grinder, linguiste, et Richard Blander, mathématicien et psychothérapeute.

La maîtrise du langage oral
La maîtrise de la parole, des consciences phonologiques, morphologiques et syntaxiques :
– Savoir différencier auditivement et prononcer correctement « quatre » et « carte » //  « quatorze », « quarante », « quatre-vingts »…
– Identifier que l’on entend « terre » dans « atterrir » // On entend « cent » dans « centaine »…
– On dit « le chat blanc » et non pas « le blanc chat » // 3605 se dit « trois mille six cent cinq », non pas « mille trois cent soixante-cinq ».
La syntaxe numérique est bien spécifique.

La maîtrise de la syntaxe et du lexique :
À l’oral puis à l’écrit, un bon niveau de langage au niveau lexical et syntaxique permet de bien comprendre une consigne, un énoncé, un récit, des problèmes et les informations implicites qui s’y cachent. Il permet de s’exprimer clairement, expliquer son raisonnement.
Le lexique mathématique est aussi bien spécifique.

Le repérage temporel, visuospatial et leur coordination

Le repérage temporel :
Je dois repérer et respecter l’ordre temporel d’énonciation des phonèmes (sons) dans un mot, des mots dans une phrase // la séquence de mots-chiffres dans un nombre, une formule, une technique opératoire et dans la comptine numérique pour les premiers apprentissages.
Dans un récit, un problème,  je repère l’ordre chronologique des événements.

Le repérage visuospatial :
Je respecte l’orientation des symboles b.d.p.q, u.n … //  l’orientation des chiffres 6.9, 2.5…et des signes x +.  Mais aussi la position précise de chaque symbole les uns par rapport aux autres : q.u.a.t.r.e // 1.6.0.2
Je repère la place des informations dans un texte // la position des chiffres et symboles dans une formule, dans une opération. Bien plus tôt dans les apprentissages, je repère la configuration spatiale des objets à dénombrer pour ne pas en recompter certains, la configuration de mes doigts levés, des points sur un dé… Inutile d’en préciser l’importance en géométrie.

Le repérage temporo-spatial :
La coordination de ces deux capacités que l’on nomme repérage temporo-spatial, est déterminante pour la lecture et l’écriture des mots et des nombres, la compréhension des récits, des problèmes mathématiques.

La motricité manuelle, oculaire, articulatoire et leur coordination

L’écriture de mots ou de nombres
Elle nécessite une bonne maîtrise du mouvement de chaque organe et leur coordination : main-yeux-bouche (articulation des phonèmes ou des mots-chiffres) pour bien former et orienter les symboles, ne pas en oublier ou en réécrire.

La lecture
L’intégrité des mouvements oculaires, articulatoires et leur coordination permet de respecter l’ordre des lettres, mots, phrases sans en « sauter », en inverser, en oublier, en répéter // de même pour les chiffres dans un nombre, ou de la position des nombres dans les formules, les opérations.

Le dénombrement
Dénombrer correctement ses doigts, des objets, des dessins sur une feuille : les toucher ou les pointer avec un doigt, les fixer avec les yeux et articuler le mot-nombre en même temps, dans une correspondance terme à terme parfaite… C’est indispensable à l’installation des concepts de « quantités », de nombre et leur invariance/leur conservation quels que soient les déplacements spatiaux de ces objets.

La mémoire

Ou plutôt les mémoires : verbale, visuelle, spatiale, temporelle/séquentielle, gestuelle, sémantique, épisodique, procédurale, prospective…

Elles enregistrent les activités des fonctions citées précédemment à courte, moyenne ou longue durée dans une zone profonde du cerveau. La répétition, l’entraînement aident à accéder rapidement à ce stock d’informations pour pouvoir les utiliser et apprendre toujours plus. Les automatismes enseignés à l’école, le « par cœur », (conjugaison, livrets, règles…) sont indispensables pour ne pas freiner la fluidité de la pensée, du raisonnement.

Mention spéciale pour la mémoire de travail : je maintiens en mémoire les informations utiles sélectionnées, j’active celles que j’ai déjà stockées et je jongle dans ma tête avec ces mots, ces nombres, ces formes, ces concepts. Je calcule, je raisonne, je découvre, je crée…

Les émotions

En aparté, et pour donner un peu d’âme à ce concert, ne les oublions pas : situées au cœur du cerveau dans la zone de mémorisation,  elles ont une influence certaine sur l’activité de ces fonctions cognitives…  Longtemps considérées comme perturbatrices, il faut tout de même reconnaître qu’une émotion positive motive, et une émotion négative inhibe. Qui n’a pas adoré une matière et progressé parce que l’enseignant était « super » ? Et inversement… Qui n’a pas éprouvé que la peur, le stress négatif nuisent à la performance, provoquent des « trous de mémoire », paralysent, tandis que la confiance nous rend efficace ? Tout est question de dosage, de contrôle. Un raz-de-marée émotionnel ou un état de stress permanent peuvent tout désaccorder.

Les capacités d’attention, d’inhibition et de jugement

Pour diriger ces instruments cognitifs et nos émotions, il faut donc un chef d’orchestre « les fonctions exécutives ». Elles permettent de nous focaliser, le temps nécessaire, sur ce que l’on fait et maintenir le fil de notre raisonnement. Calmer nos impulsions, faire taire certains automatismes parasites pour  intégrer de nouvelles informations, devenir flexible mentalement, anticiper avant d’agir. Juger de la pertinence d’une information, d’un résultat, d’une réponse, s’auto-contrôler, se corriger.

Le raisonnement

Évoquées précédemment, revenons un peu sur les capacités de raisonnement
Selon le célèbre psychologue et théoricien suisse, Jean PIAGET (1896-1980), la construction du nombre et de notre magnifique système numérique décimal, le sens des opérations, la résolution de problèmes reposent sur des compétences logiques innées qui se développent progressivement grâce aux manipulations, aux expérimentations concrètes, aux essais-erreurs des « petits chercheurs » qui découvrent leur environnement avec tous leurs sens. Ces « structures logiques de base » sont : la correspondance terme à terme, la conservation des quantités, la classification, la combinatoire, la sériation, l’inclusion. Elles peuvent se travailler avec des logopédistes formés en rééducation logico-mathématique.
Dans une vision plus large du développement, les capacités de raisonnement favorisent l’adaptation : elles permettent à l’être humain de structurer son environnement, son langage, sa pensée, sa capacité d’analyse, de vérifier ses intuitions, de développer sa flexibilité mentale en envisageant tous les possibles, pouvoir changer de point de vue, développer un sens critique comme par exemple pouvoir s’armer contre les manipulations mentales, désinformations, « fake news » qui cherchent sciemment à exacerber nos émotions plutôt négatives….

Enfin, pour une belle harmonie de toutes ces fonctions cérébrales ne négligeons pas la base, une bonne hygiène de vie : sommeil, alimentation, hydratation, oxygénation, activité physique.

LES DYSCALCULIES DÉVELOPPEMENTALES

La dyscalculie secondaire

On conçoit qu’une mauvaise hygiène de vie, une perturbation émotionnelle,  la déficience d’un organe sensoriel, voire une pédagogie inadaptée auront des conséquences sur tout apprentissage scolaire, dont les mathématiques.

On parlera d’une dyscalculie secondaire lorsque les difficultés rencontrées en mathématiques peuvent être mises en lien avec la faiblesse d’une fonction cognitive dont nous venons de parler ou alors d’un dysfonctionnement, d’un trouble cognitif neurodéveloppemental durable comme la dyspraxie verbale (trouble du geste articulatoire), la dysphasie (trouble du langage oral),  la dyslexie/dysorthographie (trouble du langage écrit) pris en charge par les logopédistes.

La dyscalculie primaire

Il existerait donc une dyscalculie primaire, trouble d’apprentissage neurodéveloppemental à part entière.

Selon Stanislas DEHAENE, chercheur contemporain en neurosciences cognitives, la dyscalculie primaire, assez rare, correspondrait à l’atteinte d’une compétence cérébrale innée présente dès la naissance : l’identification rapide de petites quantités d’objets (jusque 4) que l’on nomme « subitizing ». En son absence, le code écrit et le code oral correspondant à la dénomination d’une quantité n’ont pas de sens. Ce « triple code » (analogique, oral, verbal), quand il fonctionne bien, permettrait avec l’expérience d’estimer des quantités plus importantes, de les comparer, de se construire progressivement une ligne mentale numérique qui se traduit par la capacité à placer correctement des nombres sur un segment de longueur variable, borné numériquement de gauche à droite (de 0 à 100 par exemple), et ainsi intégrer le sens du nombre.

En conclusion

De l’invention du nombre au développement de technologies ultra-sophistiquées actuelles, les mathématiques permettent des découvertes extraordinaires… La maîtrise des bases en mathématiques permet au minimum l’accès à l’autonomie au quotidien, ce qui n’est pas négligeable. Notre travail de logopédiste formé en dyscalculie est de tenter de percevoir l’origine de ces difficultés, avec l’expertise d’autres spécialistes, pour agir efficacement : poser le bon diagnostic, expliquer, donner des conseils, définir l’aide la plus adaptée, mettre en place des aménagements scolaires. Ainsi notre objectif est de permettre aux patients de tous âges de ne pas renoncer aux mathématiques, de ne pas se mésestimer et reprendre confiance en soi car le niveau en mathématiques ne définit pas « l’intelligence » et n’est pas l’apanage d’un sexe, contrairement à ce que suggèrent ces mêmes croyances sociales persistantes et limitantes…

L’esprit humain œuvre depuis des millénaires pour développer ce langage mathématique. Alors, accompagnons les enfants et laissons leur le temps de découvrir leur environnement, les nombres, à travers diverses activités concrètes : cuisine, tâches ménagères, courses, bricolage, jardinage, sports, jeux de société… laissons-leur le temps de chercher, essayer, se tromper, recommencer, comprendre, s’entraîner, questionner, échanger, débattre, partager la joie d’avoir trouvé… Offrons-leur les occasions de s’imprégner d’expériences sensorielles avec les nombres pour leur en donner l’appétit. Elles permettront de réduire l’addiction délétère aux « écrans », outils ingénieux et de haute-technologie soient-ils…

Voilà sommairement « conté » ce sur quoi peut travailler un logopédiste spécialisé en dyscalculie ou TAM (trouble des apprentissages mathématiques), avec la collaboration d’autres professionnels.

Picture of Fabienne Bonnétat
Fabienne Bonnétat

Logopédiste/Orthophoniste/Sophrologue.
Formée en TAM et troubles logico-mathématiques.
Genève

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Fabienne Bonnétat

Logopédiste, Orthophoniste et Sophrologue.
Formée en TAM et troubles logico-mathématiques.
Genève

Pour en savoir plus, quelques références accessibles qui vous en fourniront d’autres

– Dehaene, S. (1996). La bosse des maths. Odile Jacob.

– De La Garanderie, A. (1980). Les profils pédagogiques. Bayard Culture.

– Dethier, N. (2022). La méthode de Singapour en mathématiques: étude exploratoire auprès d’élèves de troisième année primaire en Fédération Wallonie-Bruxelles.

– Gagné, P.P. (2009). Apprendre… une question de stratégie. Chenelière Education.

– Launay, M. (2016). Le grand roman des maths. Flammarion.

– Meljac, C. (2011). Qui a donc inventé les mathématiques ? Petit ANAE.

– Molko, N., Wilson, A., & Dehaene, S. (2005). La dyscalculie développementale, un trouble primaire de la perception des nombres. Revue française de pédagogie, 41-47.

– Piaget, J. (1968). Le point de vue de Piaget. International Journal of Psychology, 3(4), 281-299.

– Poussin, C. (2021). La pédagogie Montessori. Que sais-je ? PUF.

– Thiry, A. (2021). « Ca y’est j’ai compris ! La PNL au service des apprentissages: Stratégies mentales, méthodes et outils ». De Boeck.

Pour approfondir davantage

– Bacquet, M., & Guéritte-Hess, B. (1982). Le nombre et la numération. du Papyrus.

– Bideaud, J., Meljac, C., & Fischer, J. P. (Eds.). (2016). Les chemins du nombre. Presses universitaires du Septentrion.

– Mazeau, M. (2005). Neuropsychologie et troubles des apprentissages. Éditions Masson Paris.

L’utilisation du genre masculin a été adoptée sur l’ensemble du site internet afin de faciliter la lecture et n’a aucune intention discriminatoire.